Zoom sur... Emanuele SERRAINO (juillet 2019)

Pour la première fois, Mode Ouverture invite un photographe italien, habitant à Rome, à venir exposer ses images à l’espace Gandhi d’Audincourt. Emanuele Serraino est fasciné par les subtils jeux d’ombre et de lumière. Son approche artistique au rendu quasi pictural nous fait découvrir les villes de Rome et Paris sous des angles saisissants. 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Emanuele Serraino, je suis né le 3 avril 1986, à Rome où je vis actuellement.

Après des études en lettres classiques, j’ai obtenu une licence en sciences de l’Architecture et de la Ville à l’université Valle Giulia de Rome.

Ensuite, alors que je poursuivais une spécialisation en Restauration, j’ai réalisé que ce n'était pas ma voie et j'ai choisi de mettre un terme à ce parcours.

Quand et pourquoi avez-vous commencé à photographier ? Et avec quel appareil ?

J'ai perdu environ un an et demi, consacrant mon temps à des activités insignifiantes, mais utiles pour créer ce vide en moi, transformé en un espace nécessaire pour que la photographie puisse accéder librement à ma vie.

Heureusement, le 13 juin 2012, l'un de mes frères a offert à ma mère pour son anniversaire, un Canon 1100d dont je suis immédiatement tombé amoureux.

J'en ai pris possession et j'ai lentement commencé à prendre les premières photos et à étudier le fonctionnement de l'ouverture, de la vitesse d'obturation, de l'ISO et des distances focales.

C'est ainsi, apparemment par hasard, que j'ai commencé à m'intéresser à la photographie et à réaliser des photos.

Pourquoi avoir choisi la photographie pour vous exprimer ? 

Je ne suis pas un type très loquace et je n'ai jamais aimé écrire. Cependant, j'ai toujours aimé, dès mon plus jeune âge, dessiner et utiliser des pinceaux et des aquarelles et inventer des objets à partir de rien ; ma famille me rappelle toujours que très tôt, à la question "Que veux-tu faire quand tu seras grand ?", j'ai toujours répondu "inventeur".

En grandissant, j'ai perdu cette idée, peut-être à cause des premières obligations scolaires et des études classiques supérieures.

Ce n’est pas un hasard si pour essayer de la retrouver, j’ai décidé d’étudier l’architecture, mais, sentant ma créativité bloquée de toute façon, ce besoin interne que j’étouffais, comme je l’ai déjà mentionné, je n’ai pas achevé le deuxième cycle.

La photographie m'a donné une seconde chance. C'est comme si, j’étais né à nouveau à 26 ans, et que mes yeux avaient commencé à voir pour la première fois.

J'ai probablement dû retrouver ma vraie nature, renforcée par un intérêt nouveau et continu pour tout ce qui est merveilleux et extraordinaire et que je ne pouvais pas voir auparavant.

Cette nouvelle observation du monde environnant, au fil du temps, me conduit progressivement à une connaissance plus profonde de moi-même, d’une intériorité qui m’était auparavant inconnue.

Alors à la question "Pourquoi as-tu choisi la photographie pour t'exprimer?", je pourrais répondre que j'ai découvert le moyen de me découvrir, puis de raconter mon expérience spirituelle personnelle à travers chaque photo : transcrire mes sentiments dans une image et donc mon idée, de toute façon influencée par mon expérience et progressivement conditionnée par l'expérience photographique accumulée elle-même ; en ce sens que la photographie elle-même est devenue et devienne vécue en contribuant progressivement au récit de ce que je vois.

  • Comment définiriez-vous votre pratique ? 

Je me promène beaucoup à Rome, pas nécessairement avec du matériel photographique et je me suis rendu compte qu'en marchant, nous pouvons saisir beaucoup plus d'aspects de la ville : les gens qui y vivent, les animaux, les parfums, les ambiances, les couleurs, etc. Il m’a falllu du temps pour comprendre.

Les premières années, je me déplaçais toujours en voiture, je photographiais selon les points de vue les plus classiques et les plus connus avec pour seul objectif de capturer une bonne lumière ou un moment mémorable; non que la lumière n’ait pas d’importance, je la cherche en effet toujours de manière obsessionnelle, c’est mon vrai guide.

Je veux dire, cependant, que bien que je sois romain, j’ai au départ considéré la ville comme un simple touriste. 

Au fil du temps, mes intérêts ont changés et mûris, je me suis lancé dans une recherche de plus en plus personnelle qui, année après année, m'a permis de vivre Rome différemment et de la ressentir davantage. 

Cependant, je ne renie pas ma "photo-carte postale" initiale, premier jalon du chemin en cours, utile pour comprendre ce que je suis et ce que je recherche vraiment. 

J'ai alors cherché, trouvé et découvre encore de nouvelles perspectives, qui étaient là, sont là, devant mes yeux, mais que je n'avais pas remarquées car je ne poursuivais pas encore l’idée, qui pourtant, germait en moi, sans que je lui donne de l’espace, la contraignant à de banals sursauts.

Heureusement, cette pression a brisé mon opposition inconsciente et m'a permis de prendre des photos plus fidèles à ma vie intérieure et à ma vision personnelle de la ville.

Cette longue introduction vise à expliquer pourquoi je définis ma pratique comme une recherche, suivie de l’observation et de la connaissance des lieux, une recherche plus sensible et accomplie à Rome, où, en photographiant, je ressens des émotions et des sentiments plus profonds. Ailleurs, c’est moins facile, surtout lorsqu’on visite un lieu pour la première fois. 

Par exemple, je suis allé deux fois à Paris, et sur les photos prises lors de mon deuxième voyage, je pense avoir capturé des aspects et des nuances qui représentent mieux l'idée que je me suis faite de la ville et je pense que je ferai encore mieux en y retournant plusieurs fois.

  • Qu'est-ce que vous apporte l'acte photographique ?

L'acte photographique me donne l'occasion de vivre des expériences exceptionnelles, il me permet d'assister à des scènes que je considère comme de véritables cadeaux du ciel.

Il y a des jours où je sors photographier et j'ai la chance de capturer des moments que je pourrais difficilement décrire avec des mots. 

En revanche, à travers la photo, je tente de représenter ces instants qui me sont offerts : invasions de joie, nourriture de l'âme.

Pour moi, c'est tout ce qui compte, m’émouvoir face aux merveilles du ciel, la plus grande récompense à laquelle je puisse aspirer et qui a donné et donne un sens complètement nouveau à ma vie et à sa valeur réelle.

Avez-vous d’autres sources d’inspiration que l’art photographique ? 

J'aime considérer mes photographies comme des peintures et la peinture est certainement une source d'inspiration pour moi.

Je suis particulièrement fasciné par l'étude de la lumière et de l'ombre par les peintres dans cet art.

La lumière, protagoniste indispensable dont dépend l'ombre, plus l’ombre est présente plus elle fait ressortir la lumière elle-même. 

Ce dialogue influence également les couleurs de la peinture en la divisant en zones caractérisées par des tons plus chauds et plus froids.

En photographiant, je vais souvent à la recherche de scènes dans lesquelles la relation entre les deux éléments (lumière et ombre) est clairement évidente, ce qui pour moi est fondamental afin d’atteindre la tridimensionnalité finale de l'image.

Le cinéma et le théâtre sont deux autres sources d'inspiration.

Au cinéma, je suis principalement fasciné par le cadrage, les focales utilisées et les diaphragmes ouverts, grâce auxquels le directeur de la photographie met en valeur le sujet principal, laissant tout le reste flou dans le cadre.

J'adore l'atmosphère magique créée par les splendides décors du théâtre, habilement éclairés par les points lumineux.

Premier amour évidemment, répudié seulement dans les apparences, l’architecture est une autre source d’inspiration dont je profite quotidiennement, photographiant souvent ses paysages, à l’affûtde figures humaines, pour donner un véritable sens de l’échelle image.

Quel regard portez-vous sur l’art en général et sur la photographie ? 

Pour moi, l'art est une forme d'expression qui n'est pas une fin en soi.

Je pense que l'artiste dans chacune de ses créations donne une partie de lui-même, transmettant les expériences vécues jusqu'au moment où l'œuvre sera terminée.

Tout travail accompli au cours de sa vie sera donc différent du précédent car il sera enrichi d'expériences nouvelles.

Je pense qu'il est important pour l'artiste de se confronter aux autres artistes, d'examiner leurs représentations en tant que ressources d'apprentissage et d'inspiration, pour apprendre, améliorer et perfectionner les techniques d'exécution et pas seulement celles-ci.

Je crois donc que l’art véritable naît d’un examen intérieur continu et profond, c’est-à-dire qu’il est déjà en nous et que, lorsqu’il sera mis au jour, il sera unique et irremplaçable, chaque homme étant et pensant différement d’un autre.

Quel grand maître de la photographie admirez-vous le plus ? 

Je pense à un peintre, Le Caravage, précurseur de la photographie, il utilisait un studio avec un trou dans le plafond à partir duquel la lumière filtrait, comme un énorme appareil photo.

Je suis fasciné par l'importance vitale que l'artiste donnait à la lumière dans ses magistraux clairs-obscurs.

Il a peint des moments si extraordinairement énergiques et dramatiques, ayant choisi de représenter ses scènes dans des atmosphères très sombres.

Je suis attiré par la forte directionalité de ses peintures où le point de lumière, immédiatement reconnaissable, guide l'œil de l'observateur où l'artiste veut aller afin que le spectateur lui-même sache toujours où regarder sans se perdre dans rien d'autre.

Quel est l’avenir de la photographie, selon vous ? 

L'avènement de la photographie numérique, avec la possibilité de photographier au format RAW et la nécessité inhérente de développer un tel négatif dans l'ordinateur ouvre de nouveaux horizons à la créativité, grâce à de plus grandes possibilités de contrôle de la lumière, des couleurs, de l'exposition, etc.

Je suis en désaccord ave eux qui pense que l’ère numérique signe la mort ou la fin de la vraie photographie.

Pour moi, en fait, la photographie ne représente pas la réalité, mais la réalité propre à chaque photographe, une réalité devenant ainsi une abstraction personnelle, donc peu importe si vous photographiez en analogique ou en numérique.

Les manières changent mais la finalité reste la même : la recherche de l'image absolue.

Votre exposition s’intitule « Voyage Paris - Rome ». Pouvez-vous nous en dire plus ? 


C'est une collection de photos romaines et parisiennes prises au cours des trois dernières années avec le voyage pour fil conducteur.

Certaines images racontent le voyage. Par exemple, dans celle intitulée "Cendrillon", j'ai imaginé le voyage de la lune à bord du carrosse, dans "Gethsémani" un voyage spirituel dans le jardin de Jérusalem, dans "Courant de pensée", celui de la pensée de la femme protagoniste en voyage à  Rome, dans "Alice" celle d'un conte de fées, dans "Comme un enfant" un voyage à vélo, dans "Ave Maria", celui d'une prière. 

D'autres fois, c'est la photo qui vous invite au voyage dans la ville et parmi les photos elles-mêmes :   je parle de "Bienvenue à Rome". Les photos elles-mêmes sont des étapes de mon voyage à travers la photographie et du voyage de ma vie. 

J'aime aussi imaginer que l'observateur se transforme en voyageur, entrant dans mes images et y entreprenant son propre voyage personnel. 

Chaque histoire semblerait suivre un schéma à trois voies, dans lequel points lumineux, protagonistes et scènes, étapes d’un nouveau voyage, sont toujours présents.

Le point lumineux est constitué par le soleil, la lune ou d'autres lumières ; les protagonistes sont les personnes, les fleurs, les oiseaux, etc. les scènes ; les décors architecturaux de la ville, souvent situés dans des cadres naturels, mes préférés.

Quelles ont été les principales difficultés liées à cette série artistique ? 

Le choix des photographies et leur association.

Je me souviens combien la tâche a été ardue pour tracer la première ligne sur la feuille blanche, en réfléchissant à la conception architecturale.

Je trouve également complexe de concevoir un chemin visuel entre plusieurs images de manière à créer un lien entre l'image précédente et l'image suivante, du fait de la variété de genres et aussi, en tant qu’amateur de photographie en couleur pour les différences chromatiques évidentes qui la caractérisent. 

Avant de porter l'appareil photo à votre œil, avez-vous déjà imaginé le cadrage de la photo ?

Très souvent, je prévisualise l'image et l'atmosphère possible qui sera créée lorsque je prendrai la photo; j'étudie d'avance la position du soleil et de la lune, la direction d'où proviendra la lumière, attendant anxieusement le jour et le moment où ce chevauchement se produira, pour voir si ce à quoi je pensais est réalisable. 

D'autres fois, par contre, je sors avec un projet précis en tête, mais l'imprévisibilité de quelques instants me fait changer immédiatement d'avis, je prends des photos auxquelles je n'avais jamais pensé auparavant, précisément parce qu'elles étaient absolument inimaginables.

Comment choisissez-vous vos images lors de l'éditing sur l'ordinateur ? 

En vérité, je ne passe pas beaucoup de temps à choisir les images que je vais devoir développer et je n'aime même pas les revoir à mon retour d'une promenade photographique.

Je reviens au concept de prévisualisation que j'ai mentionné plus tôt.

Indépendamment du potentiel réel des négatifs, j'ai une idée claire du résultat final de mon image et je ne veux pas qu'une vision d'un fichier RAW puisse le modifier.

Lorsque je ressentirai le besoin de finaliser ce que je pensais,alors seulement je regarderai les fichiers RAW et choisirai de développer ce qui est le plus en harmonie avec mon intention.

Imprimez-vous vous même vos photos ? 

Non, je n'ai pas d'imprimante et je me suis toujours tourné vers un labo photo pour le faire. Cependant, j’ai eu l’occasion d’expérimenter personnellement sur place, à travers divers tests d’impression, en corrigeant de temps en temps les couleurs, le contraste et l’exposition des images pour arriver au résultat souhaité.

Pour vous, l'appareil photo est un outil ou un instrument ? 

C'est un accessoire, quand nous nous leurrons en pensant qu’acheter un appareil photo très coûteux nous aide à faire de plus belles photos. 

C'est un instrument, quand il nous permet techniquement de donner vie à notre idée du moment.

Quel matériel utilisez-vous ? 

Je possède deux boîtiers : un Canon 1100d (entré par hasard dans la maison et à l’origine de tout) et un Canon 6d.

Quatre objectifs: un Samyang 14 mm f / 2,8, une série Canon 17-40 mm L, un modèle DG asphérique Sigma 24-70 f / 2,8 EX et un Canon 70-300 mm f / 4-5,6 IS USM.

Un multiplicateur 2X Kenko teleplus pro 300.

Un trépied Manfrotto 190.

Quels sont vos 2 objectifs préférés ? 

J'adore le grand angle et le téléobjectif.

Le Samyang 14 mm, pour sa capacité à transformer des éléments proches du cadre en les rendant beaucoup plus grands qu’ils ne le sont réellement.

Je l'utilise souvent et volontiers en présence d'un avant-plan particulièrement intéressant, pouvant être composé de fleurs, de feuilles ou d'animaux, que je souhaite mettre en valeur, 
leur attribuant ainsi le rôle clair de protagonistes de la scène.

Le Canon 70-300 mm, que j'utilise de plus en plus souvent en combinaison avec le multiplicateur Kenko 2x, permet de cadrer et donc d'atteindre des sujets très éloignés et qui, grâce à la compression des plans due au téléobjectif, apparaissent beaucoup plus proches et majestueux.

De cette façon, j'aime photographier le lever du soleil et la lune qui croisent des paysages architecturaux ou naturels.

Focales fixes ou zoom ? Pourquoi ce choix ? 

Pour ce qui est de la précision et de la qualité de l’impression photographique, je pense qu’une distance focale fixe est préférable car, comparée à un zoom, elle donne des images plus précises qualitativement.

Cependant, le zoom vous permet de capturer le moment plus rapidement sans qu'il soit nécessaire de changer d'objectif pour composer sur une autre distance focale, c’est donc pour sa polyvalence que je préfère le zoom. Il vaut mieux saisir l’occasion que d’avoir une image nette, mais globalement pire.

Avez-vous un accessoire qui vous est particulièrement utile dans votre approche photo ? 

En plus du multiplicateur de focale que j'ai mentionné ci-dessus, j'utilise souvent une application appelée "Les éphémérides du photographe" grâce à laquelle je peux étudier les positions futures du soleil, de la lune et plus généralement de la lumière, afin de mieux prévisualiser l'image.

Quels conseils donneriez-vous à un photographe débutant ? 

D’être très curieux et de redécouvrir le monde avec des yeux neufs, d’apprécier également des choses apparemment petites, par exemple, une goutte d’eau ou une feuille morte, une simple rai de lumière, un souffle de vent qui caresse une branche, une plume d’oiseau ou une robe de femme.

Vouloir fermement que, dans le gris le plus compact, place soit faite à la lumière, de sorte que la sienne soit retrouvée.

Autant que possible, ne pas suivre les tendances et les faux mythes, ce qui l'amènerait à être la copie de ceux qui existent déjà et d’essayer de comprendre ce qui l'intéresse réellement et le pousse à entreprendre son unique recherche personnelle.

Avez-vous un site internet, une page Facebook, ou autre ?  

Mon site: https://www.emanueleserrainophotography.com/

Ma pageFacebook: https://www.facebook.com/EmanueleSerrainoPhotography

Ma pageInstagram: https://www.instagram.com/emanueleserraino/

Un petit mot pour vos lecteurs et futurs visiteurs ? 

J’espère pouvoir transmettre aux observateurs de mes photos, l’émotion que j’ai ressentie en les réalisant, une émotion intime jaillie face à des merveilles naturelles ou non dont j’ai pu profiter.À ceux qui regarderont mes images, j'aimerais faire le cadeau que je suis convaincu d'avoir reçu, en restant émerveillé.

Enfin, je voudrais dire aux visiteurs de l’exposition que si Rome est pour moi la mère merveilleuse et précieuse, unique et chère, Paris est la femme séduisante, attirante, fascinante, irrésistible qui m’a fait tomber amoureux et avec laquelle je vivrais avec joie. J'espère que maman n'est pas jalouse.

 

Traduction réalisée par Mme Cartier Nathalie